Covid : quel impact social sur l’immobilier ?

Mar 3, 2021 | #Consult&moi n°3, #Économie

La question du logement est souvent traitée sous un angle patrimonial, plus rarement économique et social. Cette omission à deux causes. La première est culturelle. Les élites françaises considèrent, à tort, que l’immobilier est un actif statique (qui confère une « rente » !), qui ne contribue à l’activité économique qu’au moment de sa construction (ce qui est faux). La seconde est statistique. L’inflation est mesurée par l’INSEE et par Eurostat par l’augmentation des prix à la consommation, qui prend bien en compte les loyers mais pas les prix à l’achat. Ce mode de calcul est justifié dans la mesure où l’achat d’un bien immobilier est bien un acte d’épargne et d’investissement, et non de consommation immédiate. Mais il omet la dimension sociale des évolutions sur le marché car l’augmentation des prix à l’achat a des impacts négatifs en termes d’inclusion.

La crise accroît les inégalités face au logement

En effet, chacun conviendra que « se loger » fait partie des besoins essentiels des êtres humains, au même titre que se nourrir, s’éduquer ou se soigner. Or, l’augmentation continue des prix de l’immobilier, en raison d’un excès structurel de demande sur l’offre dans les zones géographiques où l’activité économique est dynamique a des implications sociales. Premièrement, elle génère un décalage entre les besoins des personnes et leurs capacités de financement. Dans les métropoles, les classes moyennes supérieures, voire très supérieures, éprouvent par exemple des difficultés à acquérir des appartements avec une chambre par enfant ou une pièce supplémentaire de type bureau pour le télétravail. L’arbitrage se fait entre une taille jugée insuffisante et des temps de transport allongés si l’on sort du centre-ville pour aller en petite voire en grande couronne.

Deuxièmement, ce qui est évidemment beaucoup plus grave, elle exclut purement et simplement des individus du marché du logement. Dans son récent livre « Inconfinables ? Les sans-abris face au coronavirus » publié aux Editions de l’Aube, l’économiste Julien Damon rappelle que les hébergements d’urgence (en incluant les hôtels) sont tout le temps saturés, covid-19 ou pas. Le centre de l’Ile-de-France se « skid-rowise » (Skid Row est le quartier de Los Angeles où la plupart des habitants dorment dans des tentes sur les trottoirs).

Troisièmement, le manque d’offre de logements a un impact patrimonial redistributif. En effet, l’augmentation des prix valorise mécaniquement le patrimoine de ceux qui possèdent déjà un logement dans les zones les plus tendues. Ce sont généralement les personnes les plus âgées qui disposaient et disposent éventuellement encore de revenus relativement importants. A l’inverse, la hausse des prix rend la primo-accession encore plus compliquée, ce qui pénalise les jeunes et plus généralement les catégories de la population qui perçoivent les revenus les plus faibles. La pénurie de logements là où sont les besoins génère donc un double effet redistributif (mais qui se recoupe) : des moins aisés vers les plus riches ; des plus jeunes vers les séniors.

Une nécessité urgente d’augmenter l’offre de logement

Ainsi, construire davantage de logements dans les zones tendues s’apparente à une politique sociale progressiste. Cette nécessité sera encore plus ardente ces prochaines années. En effet, la politique monétaire menée par la Banque Centrale Européenne pour solvabiliser les États de la zone euro depuis le début de la crise de la Covid-19 aura à moyen terme un effet inflationniste sur les prix des logements, qui sont des actifs non reproductibles à l’infini, à la différence des titres financiers comme les actions et les obligations. Cette politique était, sans contestation, nécessaire. Elle a efficacement limité les effets économiques et sociaux déjà historiques et gravissimes de la pandémie. Mais ses effets sur le logement devront être compensés par une politique qui consiste à augmenter une offre en ligne avec les standards de qualité environnementaux, rendus obligatoires par la lutte contre le réchauffement climatique et la dégradation de la biodiversité. Cette augmentation de l’offre peut concerner les logements sociaux mais voir la politique du logement par ce prisme unique serait une erreur. Le problème de ce marché vient d’un décalage entre l’offre globale et la demande.

Vouloir réguler les prix en augmentant la part du marché social génère de nombreux effets pervers et est insuffisant. Il s’agit plutôt d’identifier les contraintes réglementaires inutiles, les excès de la judiciarisation et les impôts délétères qui empêchent l’offre de suivre la demande. Ce serait une excellente politique économique… et sociale.

Un article rédigé par Nicolas Bouzou

Économiste et Essayiste français, Nicolas Bouzou intervient en tant que Conseiller stratégique auprès de Consultim Groupe.

Vous aimerez certainement